Qu’est-ce qui est omniprésent dans notre société, agressif et imposé, mais parfois subtilement et qui a révolutionné nos modes de consommation ? Un indice : vous en voyez entre 1200 et 2200 par jour. La réponse est : la publicité.
La publicité est, en effet, un phénomène omniprésent dans notre société de consommation. N’importe qui vous dira qu'il y a trop de messages publicitaires. Et cette personne aura raison : nous recevons entre 1200 et 2200 messages publicitaires par jour en moyenne, ce qui représente 800 000 messages publicitaires par an et 15 000 stimuli commerciaux. Rien que ça.
Cette surexposition publicitaire est un problème majeur. Elle a des conséquences néfastes aussi bien sur l’environnement que sur notre porte-monnaie. Mais ça, ce n'est que la partie visible de l'iceberg.
À l'occasion de la journée mondiale contre la publicité, Divergence Fertile vous a concocté un dossier spécial sur l'industrie de la pub et vous embarque, grâce à une interview passionnante avec Khaled Gaiji, Chargé de mobilisation à Résistance à l'Agression Publicitaire et Président des Amis de la Terre, dans un monde sans publicité.
Petite histoire de l’industrie publicitaire : la face cachée de l’iceberg
Depuis des décennies, de nombreuses disciplines scientifiques travaillent pour l’industrie publicitaire. Leur objectif : toucher notre inconscient et rendre la publicité la plus efficace possible. Les travaux d'Edward Bernays, neveu par alliance de Sigmund Freud, ont contribué à l'essor de l'industrie publicitaire en tant qu'industrie au service de l'industrie. Bernays a compris que pour provoquer un acte d'achat, il fallait toucher l'inconscient. Les publicitaires utilisent donc la répétition des messages pour que la marque devienne familière et positive dans notre esprit, et ainsi déclencher l'acte d'achat.
La psychologie de la publicité
La publicité est omniprésente et imposée : on n'a pas le choix de s’y soustraire, notamment dans l’espace public. Son but : pousser les individus à avoir un comportement donné, à savoir : acheter un produit. Son mécanisme revient donc à créer chez les individus un déséquilibre psychologique qui s'appelle la frustration, faisant croire que l’achat de ce produit rendra l’individu heureux. Néanmoins, après l’achat, un processus de désillusion se crée : le bonheur procuré par l’achat n’est que de très courte durée. C’est pourquoi, il y a toujours une autre publicité pour relancer la mécanique !
Vous avez déjà vu un enfant qui hurle dans un supermarché pour avoir un jouet ou une sucrerie ? Des études sur ces comportements fréquents chez les enfants ont été faites. Elles ont montré que les publicitaires provoquaient intentionnellement ces moments de frustration. Si l’enfant cri, les parents achètent. Tout est calculé.
Si les adultes n’en sont pas à se rouler par terre pour obtenir la dernière paire de sneakers à la mode ou le dernier appareil électroménager dont tout le monde parle, le résultat est le même : frustré de voir l’objet en question partout, tout le temps, on finit par le vouloir, par être frustré de ne pas l’avoir et donc par l’acheter. Même si on n'en avait pas besoin.
Pour aller plus loin encore dans notre inconscient, l’industrie publicitaire s’est aujourd’hui parée d’écrans lumineux.
La face cachée des écrans publicitaires
Le numérique et l’algorithme sont les moyens d’influence les plus puissants et les plus rentables du monde. Quand on voit un écran, il attire inconsciemment notre attention. Parce que c’est lumineux, mais aussi parce que quand quelque chose bouge quelque part, notre œil est instinctivement attiré. En sciences cognitives, on appelle ce phénomène le réflexe du prédateur. Et les publicitaires en jouent pour que nous ne puissions pas échapper à leurs messages.
Les effets négatifs de cette stratégie publicitaire sont multiples :
D’une part, cela provoque une surcharge cognitive chez les individus : obligés de regarder des milliers de messages publicitaires chaque jour, nous ressentons à la fin de la journée du stress et de la fatigue chronique. Une place immense est réservée à la publicité dans notre cerveau.
D’autre part, les effets sur l’environnement sont catastrophiques : outre la pollution lumineuse qui impacte la biodiversité, les écrans publicitaires numériques consomment beaucoup d’énergie. Un écran de publicité consomme plus qu’un ménage de quatre personnes chaque année, soit 7 fois plus d’énergie que les formats non numériques. C’est l’équivalent de 32 réfrigérateurs pour un panneau ! Et c’est sans parler le coût environnemental de la fabrication des panneaux lumineux de publicité (métaux rares, extractivisme, etc.).
À l’heure de la sobriété énergétique, on peut parler d’une dissonance cognitive du gouvernement.
Bref, la publicité n’est pas notre amie. Elle emploie des processus complexes, mais réfléchi par les industriels pour nous faire consommer. Avec ses messages subtils, mais omniprésents, elle a des effets néfastes sur notre comportement, notre santé mentale et notre environnement. Ce phénomène non désiré, cette face cachée de l’iceberg, c’est ce qu’on appelle l’agression publicitaire.
Contre l’agression publicitaire : la R.A.P
Pour lutter contre cette agression permanente de la publicité, la Résistance à l'agression publicitaire (R.A.P.) est née. La R.A.P est une association fondée en 1992 par René Macaire, philosophe non-violent, François Brune, écrivain, auteur du Bonheur conforme, et Yvan Gradis, militant antipublicitaire historique. Elle a pour objet social de “lutter contre les effets négatifs des activités publicitaires sur les citoyens et l’environnement.”
L'association milite pour une réglementation plus stricte de la publicité, en particulier dans l'espace public, et pour une réduction de l'impact environnemental de l'industrie publicitaire. Les actions de l'association comprennent des campagnes de sensibilisation, des ateliers pédagogiques, des actions de désobéissance civile (comme des actions de “retour à l’envoyeur”) et des plaidoyers auprès des décideurs politiques.
La R.A.P, vous ne la connaissez peut-être pas, mais son impact est entré jusqu’à vos boîtes aux lettres : à l’origine du “Stop pub” sur les boîtes aux lettres de toute la France, l’association fait aujourd’hui partie du comité d’évaluation d’une expérimentation au “Oui pub”, qu’elle a revendiqué. Cette expérimentation, issue de la loi Climat et résilience, inverse la logique actuelle en interdisant aux distributeurs de prospectus de déposer des publicités dans les boîtes aux lettres sans autocollant.
“ De la même manière que dans la liberté d’expression où l’on a le droit de s’exprimer et le droit de ne pas s’exprimer, nous militons pour la liberté de réception : on devrait avoir le choix de recevoir ou pas un message, qu’il ne nous soit pas imposé. Dans les espaces personnels, le principe du OUI PUB est un consentement actif à la pub. Dans l‘espace public, ça veut dire arrêter d’avoir trop de publicité et notamment à travers des supports agressif comme les écrans publicitaires.” nous explique Khlaed Gaiji, membre de l'association.
La métropole de Lyon interdit les panneaux publicitaires lumineux : l’histoire d’une victoire historique.
En juin dernier, la R.A.P, avec d’autres associations, a réussi à faire inscrire dans le règlement local de la publicité intercommunal (RLPI) de la métropole de Lyon de nombreux dispositifs qui ont permis de réduire la publicité dans toute la ville. Notamment, on lui doit l’interdiction des écrans publicitaires numériques dans la ville dès avril 2024. Une victoire historique.
Interviewé, Khaled Gaiji, Chargé de mobilisation à Résistance à l’Agression Publicitaire et Président des Amis de la Terre, nous a raconté l’histoire de cette victoire.
“Agir à Lyon, c’était dur."
Pour la petite histoire, on avait décidé de s’attaquer aux écrans vidéos publicitaires depuis longtemps. On a commencé à mobiliser en 2017, on a démarré avec une pétition qui s’appelait « des arbres pas des pubs, libérons la métropole lyonnaise de la pression publicitaire » avec plusieurs revendications, dont l’interdiction des écrans publicitaires. On a commencé à travailler avec Partager C’est Sympa qui avait vulgarisé notre discours sur les réseaux sociaux et appuyé cette pétition auprès du grand public. À partir de là, on a commencé un travail inter-associatif, notamment avec le collectif Plein la vue, qui regroupe plusieurs associations, pour atteindre nos objectifs. Une dynamique est née localement.
Quelles sont les actions que vous avez pu mener pour atteindre une telle victoire ?
Nous, la R.A.P, nous étions plutôt bons en activisme, donc on faisait plutôt des actions. On était bons aussi sur les plaidoyers, tandis que d’autres étaient bons sur le juridique, comme l’association Paysage de France qui s’occupait plutôt des attaques juridiques, alors que d’autres organisaient plutôt des débats, etc. On a fonctionné en bonne intelligence avec d’autres collectifs.
"Cette année-là, il y a eu la première manifestation contre la publicité en France."
Le 25 mars 2018 a été notre premier temps fort. C’est la journée de mobilisation internationale contre la publicité. Et cette année-là, il y a eu la première manifestation contre la publicité en France. Des collectifs ont organisé une grande déambulation publicitaire et les revendications ont mobilisé 150 personnes. À l’époque, c'était énorme d’avoir une manifestation de cette ampleur sur ce thème-là.
Ça, c'était un début, mais comment vous avez fait pour que le sujet devienne central au sein de la société lyonnaise ?
Il y a eu d’autres moyens d’actions : le collectif Plein la vue a publié en 2019 une consultation citoyenne qui a récolté plus de 10 000 contributions d’habitants de la métropole de Lyon. Elle montrait que plus de 90 % des habitants étaient très défavorables à l’installation des écrans publicitaires dans l’espace public, 95 % étaient en faveur de la suppression de la publicité au sommet des immeubles, 73% pour l’extinction des publicités lumineuses, etc. Ça a permis de mettre le sujet sur la table.
"Ces démarches de plaidoyers ont aussi pour but de mettre en lumière ce qu’il y a dans les programmes des candidats et leurs positions sur des sujets peu abordés. Les gens qui sont pour la pub, c’est pas très populaire."
Le plaidoyer a aussi été important. Il y a eu des élections en 2020 et on en a profité pour faire naître le sujet auprès des élus. On demandait aux élus de nous protéger contre les effets néfastes de l’agression publicitaire. Le collectif Plein la vue a posé des questions sur les positions des candidats au sujet des nuisances publicitaires. Pour la majorité qui était en place, les réponses n’étaient pas du tout satisfaisantes et c’est la liste qui avait une assez bonne note par rapport à notre revendication qui a gagné les élections. Ces démarches de plaidoyers ont aussi pour but de mettre en lumière ce qu’il y a dans les programmes des candidats et leurs positions sur des sujets peu abordés. Les gens qui sont « pour la pub, ce n'est pas très populaire.
En mars 2019, le collectif Alternatiba a mené une action de désobéissance civile contre l’ancienne tête de la métropole de Lyon, qui était plutôt favorable à l’installation des écrans publicitaires. Les militant·es ont désobéi symboliquement à la loi pour alerter sur le sujet, grâce à une opération de retour à l’envoyeur. Ils et elles ont déployé un dispositif de 200 affiches publicitaires pour recouvrir les murs de l’hôtel de ville de la métropole de Lyon. Un activiste a été arrêté et a fait une garde-à-vue de plus de 26 h (ce qui est énorme pour l’action commise). Cette arrestation s’est retourné contre le système, car il y a eu une mobilisation d’ampleur massive pour soutenir cette personne arrêtée et ça a été ultra-médiatisé. Ça a amené un vrai débat dans la société civile, et c’était une victoire, parce que l’activiste a été relaxé·e et ça a amené une force immense à la lutte.
En fait, c’est une diversité des actions qui s’est faite et c’est ça la recette d’une victoire.
Des rapports de force dans la société
Vous dites que faire passer cette loi contre la pub a été difficile à Lyon. Pourtant, ce sont plutôt des élus de votre côté qui sont à la tête de la ville.
"Avec 30 ans d’expérience, on a compris qu’il y avait des lobbys privés très puissants qui ont des intérêts à défendre là-dedans."
La nouvelle majorité était plutôt en faveur de nos revendications et le projet pour la métropole était beaucoup plus ambitieux qu'avant. Mais nous, on voulait aller encore plus loin, on voulait qu’il n’y ait plus du tout de publicité lumineuse en ville et cette question d’écrans publicitaires était une priorité.
On a maintenu une forme de pression sur les élus en continuant de mener des actions. Avec 30 ans d’expérience, on a compris qu’il y avait des lobbys privés très puissants qui ont des intérêts à défendre là-dedans.
"Les annonceurs dans la publicité (les marques) ce sont 600 entreprises qui détiennent 80% du marché de la pub. Il y a 30 millions d’entreprises en France ! Ce sont forcément les plus riches qui ont à y gagner, et les entreprises les plus riches sont généralement les plus pollueuses. "
Alors, même quand on a des personnes en faveur de nos revendications qui arrivent au pouvoir, on est obligés de maintenir une pression citoyenne.
On a rencontré l'équipe du cabinet de Delphine Batho en 2012, Ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie à l’époque. On avait déjà porté cette revendication alors qu’il n’y avait pas encore d’écrans publicitaires partout. On lui avait demandé de faire quelque chose pour empêcher le déploiement de cette pratique et elle nous a dit « On est d’accord avec vous, mais ça va bloquer face au Ministère de l’Économie. Quand on porte un sujet, il y a une interministérielle, et quand il y a des arbitrages, le gouvernement va toujours dans le sens de l’économie… Sauf s’il y a un rapport de force dans la société, là, ils peuvent lâcher des lobbys si la société est mobilisée ».
Donc même quand on a des personnes en faveur de nos revendications arrivent au pouvoir, on a besoin d’avoir un mouvement dans la société, car c’est ça qui va provoquer un changement. Ce n'est pas un changement par le haut, c’est toute la société qui va bouger et ce changement, il faut qu’il vienne d’en bas, des gens.
"C’est un gros travail d’équipe. C’est ça le secret de la victoire."
Des publicitaires qui ne laissent pas faire
En juin 2023, la collectivité de la Métropole de Lyon a adopté un règlement de publicité véritablement contraignant pour les annonceurs. C’est une victoire pour les militant·es, mais un camouflet pour les annonceurs.
Les publicitaires, eux, ne se laissent pas faire. Khaled nous a informés que les afficheurs étaient en train d’attaquer juridiquement le règlement de publicité. L’histoire ne s’arrêtera donc pas là, et ça s’est déjà vu par le passé.
Par exemple, à Genève, grâce à un fonctionnement démocratique différent, une consultation citoyenne a permis l’interdiction stricte de la publicité en ville, votée par la collectivité. Il y a eu six ans de procédure judiciaire par les lobbys pour faire annuler cette décision. Après quoi, l’initiative visant à supprimer l’affichage publicitaire commercial a fini par être refusée à 51,93 % des voix.
En France, la loi Évin a marqué l’interdiction de la publicité sur le tabac dans les médias. Le gouvernement a dû faire face à une levée de boucliers des industriels, mais aussi des médias. Pourtant, le système économique du tabac ne dépend pas de la pub. Ce sont davantage les médias qui sont moins résilients à la publicité que l’inverse.
La loi Évin a été planifiée. Les publicités sur le tabac ont diminué progressivement chaque année jusqu'à disparaitre totalement. Tout le monde a pu s’adapter au fil des années. C’est ce qu’on appelle une planification et une transition.
Ce qu’il faut savoir, c’est que les intérêts privés gagnent des millions, voire des milliards avec la publicité. En France, le secteur de la publicité représente 32 milliards d’euros. Selon les années, il y a entre 300 et 500 milliards de dollars dépensés dans la publicité dans le monde. C’est un marché énorme et les grandes marques sont prêtes à tout pour conserver ces intérêts-là. Elles en ont les moyens.
“Nous, on n'a pas de moyens, c’est pour ça qu’il nous faut des gens. Sans les citoyens et citoyennes, on n'y arrivera pas.” conclut Khaled Gaiji.
Alors, ça donnerait quoi un monde sans pub ?
Si la Résistance à l’Agression Publicitaire n’est pas fondamentalement contre la publicité, elle prône néanmoins une certaine sobriété de la pub et un consentement à en recevoir.
La beauté sauvera le monde
L’affichage publicitaire est dans le Droit de l’Environnement, et dans le droit de l’environnement, on met toutes les pollutions. C’est donc que l’on considère bien les publicités comme des pollutions. Quand vous enlevez la publicité de l’espace public, vous DÉPOLLUEZ donc l’espace public.
Imaginez donc un monde dans lequel la publicité n’est plus imposée. Quand vous allez dehors, dans les espaces publics, les transports en communs, il n’y a pas de pub, ou seulement des formats sobres, qui ne s’imposent pas à vous, comme on peut le voir par exemple dans les annonces associatives ou culturelles.
Imaginer une ville sans publicité c’est imaginer une belle ville. À la place des panneaux d’affichage : des arbres. À la place des pubs pour des grosses voitures ou des voyages à l’autre bout du monde : des rendez-vous pour des rencontres culturelles, des tableaux, des images artistiques.
Vous n’y croyez pas ? Et pourtant, ça existe !
L’an dernier, les villes de Bourges, Bourg-en-Bresse, Saint-Raphaël ou encore Talmont-Saint-Hilaire ont fait partie des communes qui ont participé à une initiative intitulée ‘la beauté sauvera le monde”. Le principe ? Remplacer les publicités par des peintures monumentales, sur les panneaux d'affichage, quelques semaines par an. Les habitant·es ont été convaincus !
Repenser notre modèle économique sans publicité
La publicité, ce n’est pas qu’une question d’affichage. C’est aussi un fondement de notre modèle économique. Alors imaginer un monde sans pub, ça demande d’aller encore plus loin dans la réflexion. Aujourd’hui, les médias sont en grande partie financés par la publicité. Il faut imaginer un autre modèle économique. On peut prendre l’exemple de Wikipédia, financé sans aucune pub.
Khaled positive “Ça va enlever des éléments dans les produits actuels, mais est-ce qu’on a vraiment besoin d’une publicité pour nous dire qu’on doit partir en vacances à Marrakech ? On pourrait développer des systèmes économiques plus viables et plus frugaux. On rêve de médias sans publicité, mais on reconnait que c’est compliqué. ”
Alors, imaginez un monde sans pub, ça vous dit ?
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