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Pourquoi il est urgent de repenser nos indicateurs de richesse : le cas du PIB

Dernière mise à jour : 20 janv.


Depuis des décennies, le produit intérieur brut (PIB) règne en maître comme baromètre de la santé économique des nations. Mais ce chiffre, aussi omniprésent soit-il, ne dit rien du bien-être des populations, ni de l’état de notre planète. Alors que les crises écologiques et sociales s’intensifient, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les limites d’un indicateur centré sur la croissance économique au détriment du vivant et des inégalités.


Que signifie réellement "progresser" dans un monde où la surexploitation des ressources naturelles nous mène droit dans le mur ? Comment mesurer la prospérité d’un pays qui respecte à la fois les limites planétaires et les besoins humains fondamentaux ? Pour répondre à ces questions, des indicateurs alternatifs voient le jour. Plus holistiques, ils intègrent des dimensions écologiques, sociales et même subjectives, redonnant à l’économie sa véritable vocation : être au service de la société et non l’inverse.


Dans cet article, nous allons explorer ces nouveaux outils de mesure et la manière dont ils peuvent participer à redéfinir nos imaginaires collectifs pour construire un avenir plus durable et équitable.


Économie durable : le problème du PIB

Quel est le vrai problème du PIB et pourquoi il est temps de changer ?


Depuis sa création dans les années 1930, le produit intérieur brut (PNB devenu PIB) est devenu la mesure de référence pour évaluer la prospérité économique des pays. Néanmoins, cet indicateur, initialement conçu pour suivre la production industrielle, montre aujourd'hui ses limites face aux enjeux écologiques, sociaux et sociétaux du XXIᵉ siècle. On vous explique.


Le PIB offre une vision réductrice de la richesse


Le PIB mesure la valeur monétaire de tous les biens et services produits dans un pays pendant une période donnée. Mais cette approche réduit la richesse à une simple accumulation de chiffres. Elle ne fait aucune distinction entre des activités économiques positives pour la société (comme l'éducation ou la santé) et celles qui génèrent des externalités négatives (pollution, destruction des écosystèmes). En bref, pour le PIB, une catastrophe naturelle ou un accident industriel peut être économiquement "bénéfique" car ils stimulent la consommation et les investissements pour la reconstruction.


Maison en flammes, avec slogan "this is good for economic growth"
"Ceci est bon pour la croissance économique"


Le PIB est aveugle aux inégalités et au bien-être


Le PIB est une moyenne nationale qui masque les écarts de richesse et les inégalités sociales. Une économie peut afficher une croissance élevée tout en laissant une grande partie de sa population dans la pauvreté. De plus, il ne donne aucune indication sur l’évolution du bien-être humain, comme l'accès à l'éducation, la santé, ou encore la qualité des relations sociales des habitants. On peut ainsi être le pays avec le plus gros PIB du monde (les États-Unis en 2024), mais avoir un taux de population pauvre parmi les plus élevés des pays dits "développés".


Le PIB : un moteur de destruction écologique


Le PIB favorise la croissance à tout prix, sans considérer dans une seule partie de ses calculs les limites planétaires. L'exploitation des ressources naturelles, l'émission de gaz à effet de serre et la perte de biodiversité ne sont pas du tout prises en compte. Pourtant, on pourrait penser à juste titre qu'un pays qui perd ses forêts, pollue ses mers et ses sols et détruise sa biodiversité perde de la valeur et donc de sa richesse. Mais c'est tout l'inverse que le PIB provoque.


Par exemple, l'abattage d'une forêt augmente le PIB par les revenus qu'il génère. On voit bien là à quel point cet indicateur est devenu complètement obsolète pour faire face aux défis du XXIe siècle ! 


Face à ces limites, il est devenu complètement aberrant que le monde entier continue d'ériger le sacro-saint PIB en indicateur unique à suivre à tout prix. Ainsi, nombreuses sont les voix qui appellent à un changement de paradigme. Des indicateurs alternatifs ont d’ailleurs émergé ces dernières années pour mesurer autrement le progrès et la prospérité, en intégrant les dimensions écologiques et sociales.


Le PIB un moteur de destruction écologique (main représentant la Terre et chaque doigt représente un problème qui provoque du réchauffement climatique)

Quels indicateurs pour remplacer le PIB ? Les alternatives écologiques et sociales qui existent


Alors que le PIB montre ses limites, plusieurs indicateurs alternatifs ont été développés afin de répondre aux exigences d'un monde plus durable et plus juste. Ces nouveaux outils, issus de travaux approfondis, proposent de mesurer la prospérité autrement, en prenant en compte des dimensions écologiques, sociales et humaines. On vous en présente quelques-uns :


Des indicateurs écologiques pour mesurer notre impact environnemental


  • L'Empreinte écologique


Développé dans les années 1990 par Mathis Wackernagel et William Rees, l'empreinte écologique, ou empreinte environnementale permet d’appréhender la dégradation écologique induite par les activités humaines. Pour appréhender cette dégradation, l’empreinte écologique compare la consommation de ressources de l'humanité par rapport à la capacité qu’a la Terre à régénérer des ressources et à absorber le CO2 (c’est ce qu’on appelle la biocapacité). Ainsi, si nous consommons plus que ce que nous fournit la Terre en une année, alors nous sommes en déficit écologique.


L’empreinte écologique peut s’exprimer en temps, on parle alors de Jour du Dépassement. Mais on l’exprime aussi en hectares globaux (hag) ou encore en nombre de planètes. Lorsque l’on parle d’hag ou de nombre de planètes, on définit l’empreinte écologique comme l’indicateur qui permet d’estimer la surface terrestre nécessaire à chaque individu pour subvenir à ses besoins. Ce concept, popularisé dans l’ouvrage Our Ecological Footprint publié en 1996, met en lumière les dépassements des limites planétaires, c'est-à-dire lorsque la consommation humaine dépasse ce que la Terre peut régénérer.


  • L'Indice Planète Vivante (IPV)


C’est l’indicateur qui suit l’état de la vie non-humaine sur Terre. L’IPV mesure l’évolution des populations animales depuis 1970. Cet indice est publié dans le rapport biennal Living Planet Report, produit par l’ONG WWF, qui analyse l'état de la biodiversité et les pressions humaines sur les écosystèmes.


Pour les scientifiques, les décideurs politiques et le grand public, il est une synthèse régulièrement mise à jour de l'efficacité (ou de la non-efficacité) des mesures prises en matière de protection de la biodiversité.


  • Le PIB Vert

Cet ajustement du Produit Intérieur Brut traditionnel prend en compte et soustrait les coûts environnementaux (pollution, épuisement des ressources) pour obtenir une mesure plus réaliste de la richesse créée par les pays. Ce concept a été exploré notamment par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et d'autres institutions cherchant à aligner les économies sur les objectifs de durabilité.

indicateurs de richesse écologique : est-ce que l'argent pèse plus lourd que la planète dans la décision ?

  • La théorie du donut : un modèle pour un équilibre durable


Plus qu'un indicateur, la théorie du donut, développée par l'économiste britannique Kate Raworth, propose un modèle économique innovant qui répond aux défis sociaux et environnementaux de notre époque. Ce cadre repose sur une visualisation en forme de donut, avec deux limites principales : une base sociale à l'intérieur et une limite écologique à l'extérieur.


  • Le noyau intérieur (base sociale) : Il représente les besoins humains fondamentaux, tels que l'accès à la santé, à l'éducation, à l'eau potable, à l'énergie, et à un revenu décent. Ne pas atteindre cette base signifie que certaines populations vivent dans des conditions précaires.


  • L'anneau extérieur (limite écologique) : Il symbolise les frontières planétaires, comme le climat, la biodiversité, ou la qualité des sols. Dépasser ces limites mène à des perturbations écologiques majeures, telles que le réchauffement climatique et la perte de biodiversité.


Entre ces deux cercles se trouve une zone sûre et juste pour l’humanité, où les besoins de tous sont satisfaits sans dépasser les capacités de la planète. L'objectif de la théorie du donut est d'inciter les sociétés à repenser leurs priorités économiques pour atteindre cet équilibre.


Adoptée par des villes comme Amsterdam, la théorie du donut inspire des stratégies concrètes pour transformer les politiques publiques et le fonctionnement des entreprises, en privilégiant des solutions durables et équitables.





Des indicateurs centrés sur le bien-être humain


  • L'Indice de Bonheur National Brut (BNB)


Il parle de lui-même ! Créé en 1972 par le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck (en opposition à l’hégémonie du PIB à l’époque), il évalue le progrès en intégrant des dimensions psychologiques, sociales, culturelles et environnementales. Cet indicateur est suivi et promu par le Centre pour le Bonheur National Brut au Bhoutan. Chaque projet créé au Bhoutan doit permettre d’améliorer le BNB, sans quoi, le Conseil d’État n’autorise pas le développement du projet.


  • L'Indice de Développement Humain (IDH) 


Conçu par le Programme des Nations Unies pour le Développement, cet indicateur combine des données sur la santé, l'éducation et le niveau de vie pour mesurer la qualité de vie des populations. Il est publié chaque année dans le Rapport sur le développement humain du PNUD, et il est utilisé par de nombreux pays pour évaluer et comparer leur performance en matière de développement. Si l’on conaît l’IDH depuis nos livres d’Histoire, de nouveaux indicateurs ont été créés pour mesurer l'étendue des inégalités et de la pauvreté : l'indice de développement de genre (IDG), l'indice d'inégalité de genre (IGG), l'IDH ajusté aux inégalités (IDHI) et l'indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM).


  • L'Indice de Progrès Social (IPS)


Le progrès social est défini comme la capacité d'une société à répondre aux besoins humains fondamentaux de ses citoyens ; établir les éléments de base qui permettent aux citoyens et aux collectivités d'améliorer et de maintenir la qualité de leur vie; et créer les conditions permettant à tous les individus d'atteindre leur plein potentiel.

L'indice de progrès social est construit sur ces fondamentaux. Il mesure tous les domaines du bien-être sociétal, notamment : l'eau et l'assainissement, la nutrition de base et les soins médicaux, la sécurité, l'éducation, les soins de santé, la qualité de l'environnement, les droits de la personne, l'inclusivité, etc.


Il a été utilisé dans plus de 45 pays au niveau national et local, par des gouvernements, des entreprises et des ONG pour répondre aux besoins pressants des communautés et faire progresser le progrès social. Il a été créé en 2013 et son suivi est depuis publié par la Social Progress Imperative.


PIB vert : indicateur de croissance économique et écologique ?


Des indicateurs intégrés pour une vision globale


  • Le Better Life Index : ou l’indicateur du Vivre Mieux. Il offre une mesure multidimensionnelle de la qualité de vie, incluant des critères tels que le logement, l'éducation, l'équilibre vie-travail, et l'environnement en fonction des régions du monde. Il est très accessible pour le grand public grâce à son site interactif.


  • L'Indicateur de Progrès Véritable (IPV) : L'iPV est un indicateur alternatif au produit intérieur brut (PIB) ou à l'indice de développement humain (IDH) pour tenter de mesurer l'évolution du bien-être réel d'un pays. En intégrant les bénéfices sociaux et les coûts environnementaux, il fournit une mesure complète du bien-être et de la soutenabilité.


Ces indicateurs ne sont qu’un aperçu de ce qui existe. Ils permettent de redéfinir ce qu’on appelle “progrès”, en alignant les politiques publiques sur les besoins réels des populations et des limites écologiques.


Vous pensez qu’ils sont utopistes ? Détrompez-vous ! En France, des collectifs citoyens et des élus locaux commencent à expérimenter ces outils pour orienter leurs politiques publiques. Par exemple, la municipalité de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) utilise des indicateurs alternatifs pour évaluer l’impact de ses projets écologiques et sociaux, tandis que le collectif "Démocratie Ouverte" accompagne les élus dans la mise en place de politiques fondées sur des critères de bien-être et de durabilité.


Ces initiatives, si elles sont encore marginales, montrent malgré tout qu’il est possible de repenser la richesse en fonction de ce qui compte vraiment : le bien-être des personnes et la santé du vivant qui nous entoure.


if not now when ? There is no planet B - pancarte.

Les principaux défis de l'adoption des nouveaux indicateurs économiques et écologiques


L'adoption de nouveaux indicateurs de bien-être et de durabilité à l’échelle nationale ou mondiale implique une série de défis, tant sur le plan technique, politique, culturel que social. 


Les indicateurs écologiques face aux réalités locales


Un des principaux obstacles à l’adoption de ces nouveaux indicateurs pourrait être leur complexité et le fait qu'ils sont difficiles à comparer d'un endroit à l'autre. Par exemple, l'empreinte écologique mesure l'impact d'une activité sur la planète, mais chaque région est différente : certaines peuvent absorber plus de pollution que d'autres. Cela rend les calculs complexes et parfois imprécis.


De plus, des indicateurs comme l'Indice de Progrès Social ou l'Indice de Bonheur National Brut intègrent des éléments comme la santé mentale ou la Sécurité sociale, qui sont difficiles à mesurer de la même manière partout dans le monde. Cette difficulté à standardiser les mesures complique leur utilisation dans des politiques mondiales.


La résistance politique à l'adoption de modèles économiques durables


C'est sans doute le principal frein. Pour qu’un pays adopte au moins l’un de ces nouveaux indicateurs, il faut une forte volonté politique au plus haut niveau de l’État. Un des principaux obstacles à leur mise en place réside dans la persistance des modèles économiques traditionnels. Les gouvernements restent très attachés aux indicateurs traditionnels comme le PIB, car ils justifient des politiques économiques basées sur la productivité et la consommation.


Les intérêts économiques traditionnels jouent également un rôle clé dans cette résistance au changement. Les secteurs privés, notamment les industries extractives et polluantes, profitent de politiques qui privilégient la croissance économique au détriment des objectifs écologiques. L’obsession pour la croissance court-termiste tend à externaliser les coûts sociaux et environnementaux, aggravant les déséquilibres écologiques et sociaux. 


Pourtant, rien n’est impossible. Des initiatives telles que celle de la Nouvelle-Zélande, qui a mis en place un budget de bien-être en 2019, démontrent qu’il est possible de réorienter les priorités économiques vers un modèle intégrant à la fois les dimensions sociales et écologiques. Le Bhoutan, avec son Indice de Bonheur National Brut, constitue aussi un exemple d'un autre paradigme.


Réinventer la croissance du PIB dans les mentalités : le défi des nouveaux imaginaires


Le fait de changer notre manière de mesurer la prospérité ne se résume pas à une simple question technique. C’est un acte politique et culturel puissant qui invite à réinventer nos imaginaires collectifs. Que voulons-nous vraiment valoriser dans notre société ? Quelles sont les priorités que nous voulons transmettre aux générations futures ? 


En tant que citoyennes et citoyens, nous devons remettre en question le bien fondé de la croissance économique. Pour que des indicateurs alternatifs soient véritablement adoptés un jour à l’échelle nationale, voire mondiale, nous devons sensibiliser non seulement les gouvernements, mais aussi les citoyens et les entreprises, aux limites du modèle économique actuel et à l’importance de repenser le sens que l’on donne à la prospérité.


C’est ce que nous tentons modestement de faire à travers cet article. Et si vous aussi, vous souhaitez agir, vous pouvez commencer par partager cet article autour de vous !


Alorsn imaginez, on change nos indicateurs de richesse...


PIB : repenser la croissance économique pour un monde plus durable



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