Alors que la COP29, qui s'est tenue ces derniers jours à Bakou en Azerbaïdjan, a suscité si peu l’intérêt des gouvernements occidentaux, il peut être légitime de se demander à quoi servent les COP. Pour comprendre les limites de ces “Conferences Of the Parties” (= Conférences des parties), il est d’abord utile de rappeler leur histoire et leur intérêt. Parce que si la majorité ne voit la COP que comme un énième sommet politique, elle est pourtant, à l’heure actuelle, l’un des leviers internationnaux les plus importants pour répondre aux enjeux climatiques à l’échelle mondiale.
5 questions que tout le monde se pose sur les COP
Ça signifie quoi COP ?
Le terme COP vient de l’anglais “Conférence Of the Parties”, soit Conférence des Parties. Ce sont des conférences internationales de lutte contre le dérèglement climatique. Les COP sont nées d’un traité signé par 178 pays en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio qui établissait la nécessité de diminuer globalement les émissions de gaz à effet de serre afin de minimiser l’impact de l’humain sur le changement climatique.
Quels sont les objectifs d’une COP ?
Ces réunions internationales sont organisées sous la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Elles ont pour objectif de discuter et d'adopter des mesures pour lutter contre le changement climatique à l’échelle internationale.
Qui participe aux COP ?
Participent aux COP les “ Parties”, c’est-à-dire, aujourd’hui, les 198 signataires (197 États et l’Union européenne) de la CCNUCC, mais aussi des acteurs et représentants non-gouvernementaux, tels que des ONG, des entreprises, des syndicats, des peuples autochtones, des scientifiques, etc. En bref, c’est une réunion mondiale qui réunit dans la même pièce :
des gouvernements qui prennent des décisions,
des scientifiques qui partagent leur travail pour appuyer les décisions sur des données scientifiques,
et des lobbys de différentes parties qui sont là pour tenter de convaincre les gouvernements d’agir dans un sens ou dans un autre.
Quel bilan pour les COP jusqu’ici ?
La première COP (COP1) s’est tenue à Berlin en 1995. Depuis près de 30 ans, les COP ont permis de faire avancer la cause du climat dans les priorités gouvernementales (nous y reviendront). Par exemple :
COP3 (1997) - Kyoto, Japon : La COP3 a abouti à l’adoption du Protocole de Kyoto, un accord juridiquement contraignant où les pays industrialisés se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
COP21 (2015) - Paris, France : La COP21 a été un tournant majeur avec l’adoption de l'Accord de Paris, un accord universel pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, avec un objectif idéal de 1,5°C.
COP27 (2022) - Charm el-Cheikh, Égypte : La création d’un fonds pour les pertes et les dommages, adopté à la COP27, a été une victoire majeure pour les pays en développement et les communautés en première ligne face à la crise climatique. Ils le réclamaient depuis 30 ans.
Les COP sont censées permettre des avancées dans la reconnaissance de l’urgence climatique et dans la mise en place de mécanismes pour la réduction des émissions et le financement de la transition écologique. Cependant, ces conférences ont aussi montré les difficultés dans la mise en œuvre des engagements, et des critiques régulières sont faites concernant les promesses non tenues et les inégalités entre pays du Nord et pays du Sud.
À quoi reconnait-on l’échec ou le succès d’une COP ?
Du point de vue de la lutte contre les causes et les effets du réchauffement climatique, le succès ou l’échec d’une COP peut être évalué en fonction de l’ambition des objectifs qu'elle se fixe et des résultats obtenus.
Ainsi, on pourra voir une COP comme “réussie” si l’on obtient l’un ou plusieurs de ces critères :
Elle aboutit à un accord juridiquement contraignant ou à des engagements clairs et ambitieux (comme la COP21 par exemple).
Elle réussit à mobiliser des fonds pour soutenir les pays en développement économique dans leur transition et leur adaptation au changement climatique (par exemple, le Fonds Vert pour le Climat).
Elle inclut les préoccupations des pays vulnérables et des communautés affectées, notamment via des mécanismes comme le fonds "pertes et dommages" créé à la COP27 en 2022.
Elle génère un engagement accru du secteur privé, des collectivités locales, et des citoyens dans les solutions climatiques (par exemple, la COP26 a vu de nombreuses annonces de la part d’entreprises et d’investisseurs privés).
Néanmoins, le succès d’une COP ne se mesure pas uniquement à court terme. Le suivi des engagements pris, avec des actions concrètes dans les années qui suivent, est un indicateur clé pour savoir si une COP a été réussie ou non. Par exemple, la COP15 (2009, Copenhague) a été un fiasco monumental. Les attentes de nombreux pays étaient grandes, notamment de la part des pays du Sud, et aucun accord contraignant n’a été signé.
"Quand Obama arrive à Copenhague en 2009, on espère que le monde va changer et que ça va être extraordinaire. Et finalement, qu'est ce qui se passe ? Eh bien, il se comporte exactement comme Bush. Il a la même position. Il va d'une certaine façon, reléguer les Européens à leur place subalterne, c'était une humiliation pour la présidence danoise." explique l'historienne des sciences Amy Dahan dans un podcast de France Info
COP29 : Ce que vous devez savoir sur le sommet climatique de l'année
Quels sont les grands enjeux attendus pour la COP29 ?
Cette année, c’est la COP29 et elle se tient à Bakou en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre 2024. Elle est censée aboutir à un panel de décisions qui permettent de continuer de faire tourner le régime climatique d’après l’Accord de Paris. Si le sujet de la finance a toujours été un point indissociable des COP (car après tout, sans argent, pas de transition), cette année on parle davantage d’une “COP de la finance”, car la COP29 porte plusieurs défis financiers :
Le financement climatique : Les discussions portent sur un nouvel objectif collectif post-2025, notamment pour soutenir financièrement les pays vulnérables face aux impacts du changement climatique. Mais qui doit payer ? Et combien ? Un comité d’experts a estimé que les besoins s’étendaient de 5 à 6,9 trillions de dollars pour les cinq prochaines années. Un budget doit donc être décidé à la sortie de cette COP.
L'adaptation aux impacts climatiques : des stratégies pour mieux protéger les populations face aux phénomènes extrêmes devront être discutés, surtout d’un point de vue technique.
L'atténuation : Un accent sur l'accélération des réductions d'émissions pour atteindre l'objectif de 1,5 °C est attendu. C’est toujours un sujet lors des COP et pourtant, les émissions ne cessent d’augmenter depuis 30 ans. Le monde doit réduire ses émissions de 43% par rapport à 2019 d’ici 2030, et les engagements actuels mènent à une réduction de 2%...
L’impact des combustibles fossiles : des discussions sur la réduction progressive de leur utilisation, en tenant compte des réalités énergétiques des pays producteurs, dont l'Azerbaïdjan, doivent être tenus.
Toutes ces discussions doivent mener à des Contributions Déterminées au niveau National (CDN). Les CDN sont les engagements climatiques pris par chaque pays pour respecter l’Accord de Paris.
Pourquoi la COP29 se tient-elle à Bakou, en Azerbaïdjan, pays dont l’économie dépend largement de l’exportation des énergies fossiles ?
On pense à tort que les COP devraient se passer dans des pays modèles en matière de climat. Mais le fonctionnement de l’ONU repose sur une rotation des présidences de COP en fonction des régions. Ainsi, toutes les régions du monde doivent un jour ou l’autre accueillir une COP. L’an dernier, la COP28 se tenait à Dubaï, au Moyen Orient, cette année, c’est en Azerbaïdjan en Europe de l’Est.
D’ailleurs, le rôle d’une présidence de COP est de modérer les débats, pour éviter que des conflits ne fassent surface. L’ordre du jour et les discussions qui se passent lors de la COP sont issues de négociations intenses entre tous les pays et ne sont pas la prérogative de la présidence. Cela s’est prouvé lors de la COP28 qui a fait émerger le premier texte “du début de la fin” des énergies fossiles. Pourtant, elle se tenait aux Émirats-Arabes-Unis, dont l’économie dépend quasi intégralement de l’exportation des énergies fossiles ! Et puis, ne laisser la présidence des COP qu'aux pays qui s'investissent "concrètement" dans la lutte contre le réchauffement climatique ne laisserait plus grand monde sur la liste...
Bon, l'Azerbaïdjan a été un peu moins diplomatique que Dubaï en annonçant dès l'ouverture de la COP que "le pétrole est un don de Dieu", mais cela ne veut pas dire que toutes les COP qui se passent dans des pays exportateurs de pétrole soient aussi catégoriques et provocateurs en début de sommet international...
Pourquoi de nombreux dirigeants ont été absents à la COP29 ?
Joe Biden, Xi Jinping, Lula, Emmanuel Macron, Olaf Scholz… la liste des dirigeants au poids politique important absents à la COP29 est assez longue cette année. Il y a plusieurs raisons à chacune des absence, mais pour faire court :
La France a des relations tendues avec l’Azerbaïdjan depuis la condamnation française de l'offensive militaire azerbaïdjanaise contre les séparatistes arméniens du Haut-Karabakh en septembre 2023,
Pour Xi Jinping, président de la Chine, cette absence est plutôt habituelle. Le dirigeant ne s'est pas rendu à une COP depuis huit ans,
Les États-Unis ont été accaparé par l’élection présidentielle. Joe Biden doit céder le pouvoir en janvier à Trump et la crédibilité des américains à cette COP29 aurait été compliquée.
Le chancelier allemand Olaf Scholz doit son annulation en raison de la chute de sa coalition gouvernementale qui a déclenché une crise politique majeure il y a quelques semaines en Allemagne.
Bref, si ces absences n’ont pas bonnes presse, elles n’empêchent néanmoins pas les négociations, ni les gouvernements de prendre des engagements à l’échelle nationale.
Bilan des débats et des décisions de la COP29 à Bakou
Problèmes : D’une part, certains États ne prennent pas leur responsabilité dans ces négociations. D’autre part, et c’est peut-être le plus inquiétant, certains pays remettent littéralement en cause des consensus scientifiques et parlent de “politisation de la science”. Les scientifiques craignent que la place de la science recule désormais lors des prochaines COP.
Les pays riches ne prennent pas leur responsabilité financièrement
Notez que “les pays riches” dans le contexte de la COP concernent aujourd’hui l’Europe, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, le Japon et la Nouvelle Zélande, pays également historiquement responsables du réchauffement climatique. Cette liste a été établie en 1992 et n’a pas été changée, malgré la demande de ces pays d’intégrer de nouvelles nations dans la définition comme la Chine, Singapour ou les pays du Golfe qui se sont enrichis depuis. Ces derniers restent des “contributeurs volontaires” pour l’instant.
Côté financement donc, les pays riches ont d'abord proposé 250 milliards de dollars par an d’ici à 2035 pour l'action climatique dans les pays en développement. Rappelez-vous, les experts estimaient les besoins entre 5 à 6,9 trillions de dollars pour les cinq prochaines années. Certains acteurs ont donc jugé cet accord "inacceptable". Les pays les plus touchés par les effets du dérèglement climatique ont demandé à ce que les pays riches fournissent entre 500 et 1 300 milliards de dollars par an pour les aider à sortir des énergies fossiles et s'adapter au réchauffement climatique.
"Nous ne demandons que 1 % du PIB mondial. Est-ce trop demander pour sauver des vies ?", interroge Juan Carlos Monterrey Gomez, négociateur du Panama sur France24.
Le groupe d’experts indépendants sur la finance climat (IHLEG) piloté par l’économiste Nicholas Stern propose pour sa part au moins 1.000 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour les pays émergents et en développement, à l’exclusion de la Chine, dont 50 % viendrait du secteur privé. Notez que selon les chiffres de l’OCDE, 80% de cet argent est aujourd'hui de l'argent public.
"Le monde brûle, nous ne pouvons pas attendre des cacahuètes pendant 11 ans en donnant l'impression de faire une pause dans la sortie des énergies fossiles", a réagi Friederike Roder, de l'ONG Global Citizen.
Après des heures de prolongations ce samedi 23 novembre, les pays riches se sont accordés pour augmenter le montant de l’aide à 300 milliards de $ par an. Les négociateurs des petits États insulaires et des nations les plus vulnérables (45 pays au total) ont claqué la porte des consultations en signe de protestation. Ils sont finalement revenus pour signer l'accord à la condition que ce dernier anticipe à 2030 l'objectif de tripler les financements, essentiellement publics, qui passent par des fonds multilatéraux où ils sont prioritaires.
Une feuille de route pour la prochaine COP, organisée au Brésil en 2025, a été faite pour permettre à ces pays d'obtenir plus d'argent sous forme de dons, alors qu'aujourd'hui 69% de la finance climatique est constituée de prêts (ce qui est catastrophique pour ces pays pauvres).
Quelques chiffres pour remettre les choses en perspective :
16 000 milliards $ ont été trouvé pour répondre à la crise du covid
la fortune des milliardaires (qui représentent 0,00004% de la population mondiale) a augmenté de 3 900 milliards de dollars depuis 2020
les 5 personnes les plus riches du monde ont vu leur fortune augmenter de 464 milliards de dollars depuis 2020
Les pays riches ne prennent pas leur responsabilité écologique
Si l'an dernier, la COP28 en annonçait "le début de la fin", la sortie des énergies fossiles n'est pas mentionnée cette année. Statut quo donc de ce côté, ce qui déçoit beaucoup de monde.
De nouvelles règles pour les transactions carbone ont été cepandant adoptées lors de cette COP à Bakou. Les pays riches, qui sont également les plus pollueurs, pourront désormais remplir leurs objectifs climatiques en payant des pays d’Afrique ou d’Asie, qui polluent très peu, au lieu de réduire leurs propres émissions de gaz à effet de serre...
Concrètement, les pays riches pourront financer des activités qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre dans les pays plus pauvres, comme planter des arbres ou réduire l'utilisation du charbon. Ces projets de réductions d'émissions pourront ensuite être enregistées dans le bilan carbone des États payeurs. Le greenwashing est à son comble !
Les femmes, reléguées au dernier plan
Par ailleurs, alors que les effets de la crise climatique affectent davantage les femmes dans le monde, des mentions relatives à l’égalité entre les genres ont été supprimées du futur programme de travail par l’Arabie saoudite, l’Iran, la Russie, l’Egypte et le Vatican.
Quelques avancées positives lors de la COP29
Malgré ces déceptions, des annonces plutôt positives ont malgré tout marqué cette COP29. On se doit de les souligner.
Le Mexique s'est engagé à atteindre une économie à zéro émission nette, signalant une volonté ambitieuse de transformer son modèle économique. De son côté, l’Indonésie a accéléré sa transition énergétique en promettant la fermeture de toutes ses centrales au charbon d’ici 15 ans, soit 17 ans plus tôt que prévu.
Ces engagements, bien que nécessitant un suivi rigoureux, montrent que certains pays prennent quand même des engagements pour réduire leur impact sur le changement climatique.
Conclusion : Les COP servent-elles à quelque chose ?
La réponse est OUI. Si vous pensez le contraire après la lecture de cet article, alors essayez de prouver qu'autre chose existe à l'échelle mondiale qui permette de mettre tous les pays du monde dans une même pièce pour parler du climat. De nombreuses avancées pour la transition écologique ont été permises grâce aux COP.
Malheureusement, aucune instance mondiale n'existe pour gouverner tous les États du monde et les contraindre à quoi que ce soit. Il n'y a pas de "gouvernement de nos gouvernements", et cette configuration mondiale n'est, en tout cas actuellement, pas possible, puisqu'on voit aujourd'hui que le droit international (comme la Cour Pénale Internationale) a déjà de moins en moins de valeur aux yeux de nombreux pays, qui ne prennent même plus la peine de faire semblant de le respecter.
Par ailleurs, les COP se heurtent à la nécessité d’une unanimité pour adopter les textes, ce qui explique que le processus soit si long et souvent décevant. À cela s’ajoute l'absence de mécanismes réellement contraignants pour s'assurer que les engagements pris par les États soient respectés.
Cependant, il est crucial de ne pas baisser les bras. Les COP nous montrent aussi qu'agir localement reste une des clés efficaces pour accélérer le changement. Les citoyens et citoyennes peuvent jouer un rôle essentiel en mettant une pression accrue sur leurs gouvernements, tout au long de l'année, mais aussi lors de ces événements mondiaux.
Enfin, la présence massive de lobbyistes des énergies fossiles – plus de 1 700 à la COP29, la quatrième délégation la plus importante – souvent pointée du doigt comme une preuve de l'échec des COP, témoigne pourtant de l’importance stratégique de ces négociations. Ces acteurs économiques savent que les COP, malgré leurs limites, contribuent à redéfinir les règles du jeu mondial, sinon, ils ne seraient pas là (mais vous pouvez quand même rejoindre la coalition d'ONG qui demande à ce qu'ils soient interdits dans ces négociations, ici). C'est précisement pour cette raison qu'une mobilisation citoyenne et médiatique plus forte est nécessaire pour contrer ces influences et impacter concrètement les décisions étatiques pour le climat, la biodiversité et la justice climatique.
Pour commencer à agir, je vous invite à partager ce post, qui, je l'espère, participera à ce que davantage de personnes s'intéressent aux prochaines COP.