Imagine, la résistance écologique
- julieredacweb
- 6 févr.
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Dernière mise à jour : 11 févr.
Édito de Julie Arnoux
S’il y a bien un imaginaire qui domine nos récits culturels depuis des décennies, c’est celui de la Seconde Guerre mondiale. Films, séries, livres et podcasts… Les histoires situées entre 1939 et 1945 ont évolué au rythme des romances impossibles entre infirmières et soldats, des batailles destructrices, des mémoires de déportés, et des récits de résistants et de collabos. Mais pourquoi cette période persiste-t-elle autant dans nos imaginaires, alors que tant d’autres guerres et moments historiques auraient tout autant leur place ?

Parce que c’est facile. Le schéma narratif y est tout tracé, avec une dichotomie claire entre gentils et méchants, bien et mal. Ce n'est pas pour rien que nous sommes si nombreuses et nombreux, en sortant d'une œuvre relatant les faits de cette époque, à se dire "mais comment ont-ils et ont-elles pu laisser des horreurs pareilles se produire ?". Aussi, parce que c'est récent. Nous, ou nos parents, avons grandi aux côtés des personnes qui ont vécu l'effondrement moral de l'Europe. Inscrits dans leur chaire, la Seconde Guerre Mondiale et le nazisme européen a laissé des traces sur nos ancêtres. Si bien, que sans chercher à nous faire comprendre Comment le nazisme avait grimpé en Europe, on nous a seulement appris à en avoir peur, à savoir que l'extrême droite, c'est mal. Il y avait des gentils, des héros et héroïnes : les résistants et résistantes. Il y avait les méchants : les nazis et les collabos.
Pourtant, cette vision manichéenne est une construction qui n'a que peu d'intérêt politique. En effet, la réalité politique de l’époque était bien plus complexe. D'ailleurs, en 1971, le documentaire Le chagrin et la pitié de Marcel Ophüls a provoqué un véritable électrochoc en révélant la diversité des comportements et des complicités dans la France occupée. Tout le monde n'était pas ouvertement "nazi", "collabo" ou "résistant". Et toutefois, aujourd'hui, lorsque l'on discute entre ami·es ou en famille, quel que soit notre bord politique, on se dit toutes et tous qu'à cette époque, nous aurions été forcément résistant·es.
Vraiment ?

Une guerre des récits
Cette réflexion sur la Résistance met en lumière la façon dont nous concevons aujourd’hui les luttes contemporaines, et entre autres, la lutte pour le climat - mais pas uniquement.
Rappelons les faits de l'actualité du mois de janvier 2025 : un homme qui a été défini comme un fasciste par de nombreux historiens et spécialistes du sujet, vient de (re)devenir Président de la première puissance mondiale. À ses côtés, l'homme le plus riche du monde, qui n'a rien trouvé de mieux à faire qu'un salut nazi lors de son investiture.
N'en sommes-nous pas déjà au point où, dans les histoires qu'on nous diffuse depuis des décennies, les spectateurs et spectatrices qui connaissent la fin tragique, se disent déjà "mais comment n'ont-ils rien vu venir ?".

Car de nombreux éléments qui caractérisent les régimes autoritaires sont déjà mis en place aux États-Unis : déportations, censures médiatiques, autodafés de livres, des opposants politiques désignés comme "ennemis de l'intérieur", une volonté de conquête de nouveaux territoires, une culture du masculinisme, la promesse de violences sans précédent envers les populations opprimées...
L'alerte collective devrait être maximale. Mais elle ne l'est pas, parce que les récits diffusés en ce moment par nos médias et nos politiques qui se revendiquent "Gaullistes" ne sont, au mieux pas à la hauteur, au pire, complaisants. De la même manière qu'ils ont manipulé l'opinion de l'Occident des années 30, les journalistes, les éditorialistes, les politiciens et politiciennes de droite et du centre font mine de ne pas comprendre ce qu'il se passe.
Pire, ils désignent déjà depuis des années les "ennemis de l'intérieur" dont il faut, selon eux, s'occuper en priorité : les personnes immigrées, les personnes racisées, les musulmans, les écologistes, les personnes de gauche, les personnes LGBTQIA+, les intellectuels, les pauvres, les féministes. Il y aurait, des bons et des mauvais français. L'exact même récit qu'il y a 90 ans est posé depuis un certain temps maintenant.

Cyril Dion, dans une chronique sur France Inter, faisait un parallèle frappant : « L'extrême droite devient non seulement fréquentable, mais à la mode. Ce qui est fascinant avec les récits, c'est qu'à mesure qu'ils se répandent, l'opinion générale sur un sujet change. Ce qui paraissait absurde, innaceptable, ne le devient tout à coup plus.»
Les récits collectifs, comme celui de la Seconde Guerre mondiale, sont aussi constamment réécrits en fonction des influences politiques et culturelles. Par exemple, en 1945, 57% des Français·es considéraient que l'URSS avait été la nation la plus déterminante dans la défaite de l'Allemagne en 1945, 20% citaient les Américains. En 2015, plus de la moitié des Français·es répondait les États-Unis à la même question. Ce renversement d’opinion démontre à quel point l’imaginaire collectif peut évoluer au gré des commémorations et des récits nationaux.
De même, la France s’est longtemps représentée comme une nation résistante face au nazisme, minimisant les complicités actives ou passives qui ont permis la barbarie. Ce récit national, dont la couverture est minutieusement organisée par des hommages à Jean Moulin et des commémorations de l'appel du 18 juin, est très loin de la vérité.

Force est de constater par les archives radios et de la presse que les résistant·e·s français·es n'ont pas été dans les grâces de l'État jusqu'à la Libération et que la majorité de nos concitoyen·ne·s n'étaient pas des résistant·e·s. Comme le démontrent plusieurs documentaires de Marcel Ophüls, ils et elles n'étaient pas non plus forcément collabos, mais il n'empêche qu'ils et elles ont laissé s'installer les conditions nécessaires pour que notre pays participe activement à l'horreur que nous connaissons, prenons-en acte.
La Résistance, bien qu'organisée et solidaire, était largement minoritaire. Elle a malgré tout fini par triompher. Cette victoire repose sur une vérité essentielle : seuls 2 à 3 % de la population française ont participé directement à la Résistance (source), mais leurs actions ont été soutenues par de nombreuses complicités discrètes, implicites ou actives, qui ont permis de changer le cours des choses.
L'écologie : une histoire de résistance et de collaboration ?
Comme de nombreuses personnes en ce moment, je ne peux m'empêcher de regarder ce que nous vivons à travers le prisme de l'imaginaire des années 40. La montée de l'extrême droite en occident emprunte des chemins que l'Histoire a déjà connus, comme en témoignent plusieurs historiens et spécialistes de cette époque.
"Peut-être qu'il n'est plus temps de se demander de quel côté de l'Histoire nous aurions été à l'époque, mais de quel côté de l'Histoire nous voulons être aujourd'hui." - Cyril Dion
Revenons-en à l'écologie, le prisme par lequel Divergence Fertile a choisi de vous sensibiliser. L'écologie, c'est une histoire d'idéologies. De notre point de vue, il semble y avoir "des méchants, des collabos et des résistants" au réchauffement climatique. Le backlash écolo que nous vivons actuellement rend le parallèle encore plus plausible. Et je me demande :
Comment les générations futures parleront de nous ? Quel rôle voulons-nous jouer dans cette époque ? Sommes-nous destiné·e·s à devenir des résistant·e·s ou des collabos de la crise climatique ?
La peur et la colère face aux actualités ne doivent pas nous ôter notre capacité à nuancer. Nous savons qu'il n'y aura pas de justice climatique durable et soutenable sans justice sociale. Nous savons que nous ne voulons pas construire un monde meilleur sur les cendres de celui d'avant. Nous savons que l'Histoire s'écrit au présent. Enfin, nous avons appris de notre passé historique, et nous savons comment Résister.
Alors, Imagine la Résistance Écologique.

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Pour aller plus loin, vous pouvez vous inspirer de ces ressources passionnantes et pertinentes :
Pour une écologie pirate ; Et nous serons libres, de Fatima Ouassak, aux éditions La Découverte.
Pourquoi l'écologie perd toujours, de Clément Sénéchal, aux éditions du Seuil.
Petit manuel de résistance contemporaine, de Cyril Dion, aux éditions Actes Sud.
Résister, de Salomé Saqué, aux éditions Payot.